L’histoire réussit parfois mieux aux romanciers que le genre du roman ne sied aux historiens. Authentique ou légendaire, la malédiction proférée contre le roi de France par le Grand Maître de l’Ordre du Temple, Jacques de Molay, tandis que les flammes consumaient son corps, a inspiré à Maurice Druon le puissant roman de ses "Rois maudits", les trois fils du persécuteur par lesquels finit misérablement la dynastie capétienne.
Avant lui, Henri Béraud avait, d’une plume magistrale, raconté l’histoire à peine inventée de ce village dauphinois coupable d’avoir pendu à l’orée d’un bois un Templier fugitif, et que seul, l’avènement de la République libérerait près de quatre siècles plus tard, du remords et du châtiment de la vengeance divine.
Mais il arrive aussi que la réalité nue dépasse toute fiction, parce qu’aucun conteur n’aurait été capable d’en imaginer les hasards, les cocasseries burlesques ou dramatiques, les mystérieuses coïncidences. Citadelle avancée du royaume d’Aragon, la Templerie du Mas-Dèu tenait sous son regard la plaine roussillonnaise, le littoral et les approches de la Catalogne. Quand on y apprit le coup de force perpétré par le roi de France, à l’aube du 13 octobre 1307, les Templiers verrouillèrent les portes, et mirent la citadelle en état de défense :
"Qu’ils y viennent !".
635 ans plus tard, l’armée allemande, hantée par le souvenir des Chevaliers teutoniques, y entrait en force, la transforma en un gigantesque arsenal bourré d’engins. Lorsque le débarquement français en Provence contraignit la Wehrmacht à une retraite précipitée, elle fit tout sauter, et jusqu’en Espagne, on entendit, dans la nuit qui rougeoyait, le fracas des explosions.
Bien loin de là, à l’intérieur du triangle délimité par les anciennes commanderies de Dijon, Curtil et Fontenotte, les Allemands battus mirent pareillement le feu au grand dépôt de munitions qu’ils avaient enfoui dans les profondeurs d’un vieux fort dénommé prophétiquement "le Fort Brûlé", et les fumées rousses de l’incendie obscurcirent le ciel au-dessus du plateau où les chevaliers du Temple avaient galopé à plaisir. En 1271 avait été inhumé à Fontenotte le prêtre Templier Etienne de Til-Châtel ; sa dalle funéraire était gravée de l’inscription : Dex assoille. "Que Dieu pardonne !". Et qu’il daigne assister aussi ceux qui, à tâtons, pénètrent le cœur serré dans ces dédales de l’horreur pour y chercher la parcelle d’air pur dont le nom est : Vérité.
Raymond OURSEL Historien